Hier je suis allé voir l'exposition "L'impressionnisme et la mode" au musée d'Orsay. La mode n'est pas un sujet qui m'intéresse normalement. Ici l'intérêt est plus de voir la mode à travers les yeux des artistes impressionnistes, et d'une manière plus générale, d'avoir devant les yeux un splendide témoignage de la manière dont les gens s'habillaient à la fin du 19e siècle.
L'exposition mélange tableaux, photos d'époque, et de nombreuses tenues sont présentées, robes, chapeaux, tenues féminines mais aussi masculines.
Outre le sujet de l'expo, j'ai surtout fait quelques rencontres somptueuses et purement picturales...
Pour commencer, un premier choc avec la Dame en bleu de Corot. Sans exagérer, j'ai failli pleurer sans savoir vraiment l'expliquer, ce tableau est d'une beauté vraiment troublante, cette fille nonchalamment appuyée sur sa main semble s'ennuyer à mourir, perdue dans ses pensées, on l'imagine en train de poser pour le peintre avec à l'esprit, ses petits tracas de la vie, c'est cette attitude je crois qui m'a vraiment ému, elle est tellement réelle cette impression, est ce vraiment ça l'impressionnisme ? Donner à ressentir un moment dans le temps dans ce qu'il peut avoir de plus simple, de plus anodin mais de manière extrêmement tangible ?.
Puis il y eu un reflet, juste un reflet, minuscule, un eclat de lumière sur un ongle. L'ongle d'une femme au gant, juste ce petit reflet sur cet ongle, il est splendide, il est le détail qui crée ce point de rencontre infime entre de la peinture sur une toile et l'émotion de la beauté. Dans la Dame en bleu c'est la scène entière qui vous projette dans un monde parallele, ici c'est juste ce reflet qui fait sur moi l'effet d'un tour de magie, comme si d'un coup le reflet, l'ongle et la main entière se mettaient à bouger et à vivre. Ou plutot, cette vibration imperceptible juste avant le mouvement. Voilà, ce reflet c'est cette vibration presque imperceptible...
J'ai beaucoup aimé le tableau "Une soirée" de Jean Béraud, il est si clair, si limpide, si précis, on y trouve aussi cette sentation d'un temps suspendu qui va redémarrer. C'est délicieux.
Le grand nu de Gervex est magnifique lui aussi, enfin, elle est magnifique, magnifiquement érotique, l'homme est prés de la fenêtre, debout, presque entièrement habillé, elle est entièrement nue, imberbe échouée sur le lit, dans les vagues fraiches des draps, les yeux fermés. Son corps est trop pâle, ses têtons trop rose pâle eux aussi, tout l'érotisme repose non pas dans la nudité offerte de cette jeune demoiselle qui manifestement vient de faire l'amour, mais dans le ton trop exact du rose de ses têtons.
Puis deux mains m'ont attrapé, la première, celle de Manet, peinte par Fantin Latour, bleutée tenant sa canne. On dirait la main d'un cadavre. Effrayante. Et juste à coté, une autre main, monstrueuse elle aussi, celle d'un homme par Caillebotte, une main horrible, hachée, tourmentée, alors que l'homme a l'air si calme...
Et pour finir, Caillebotte en homme invisible... Déformation de photographe sans doute, mais en regardant le tableau "Au café" de Caillebotte, on y voit un homme debout, dans un café, et derrière lui il y a un très grand miroir comme on peut en trouver, recouvrant des murs entiers dans certains cafés qui ont souvent pour but de créer un trompe l'oeil et de créer l'illusion que l'endroit est beaucoup plus grand. Et bien, Caillebotte devrait se refléter dans le miroir qui se trouve juste en face de lui, si il avait été question d'un photographe, on aurait à coup sûr vu l'homme, l'appareil photo à la main, entrain de photographier la scène, hors ici il n'y a personne, Caillebotte s'est volontairement fait disparaitre du tableau, son but n'est donc pas de représenter une scène avec le soucis du détail réaliste, mais bien de nous inviter à partager un instant dans un endroit donné, durant quelques secondes. comme des êtres invisibles de passage.
Dans une exposition nous sommes des hommes invisibles, traversant le temps et l'espace pour attérir dans un champ de bataille, un salon, un café, une chambre, nous voyons mais les personnages ne nous voient pas. Nous entrons et sortons de chez eux à volonté sans perturber l'instant. Sans agiter la moindre poussière, sans créer le moindre souffle.
Entrer dans un musée c'est un peu entrer dans le monde des morts, des fantômes, autour de nous, il n'y a à voir que du temps révolu, des choses qui ne sont plus, des êtres disparus depuis longtemps. Des souvenirs, des témoignages. Nous regardons ce qui se trouve dans ces cadres, qui sont comme des fenêtres sur le passé, chaque tableau est un aquarium où est emprisonné une seconde d'un autre temps. Je voudrais pouvoir y tremper la main, y plonger la tête et sentir le parfum de la jeune fille de Gervex, je voudrais pouvoir respirer l'odeur des cigares et du café qu'on sert à la table de Beraud. Je voudrais respirer l'odeur du bois des rabotteurs de Caillebotte. Je voudrais plonger dans un tableau et ne plus en sortir, passer par la fenêtre dans la fenêtre, me mettre en abîme. pour l'éternité.
Site de l'exposition